jeudi 4 octobre 2012


EXILE ON MAIN STREET


    Il en est des Stones comme des nuages de cendres du volcan Eyjafjöll : ils empêchent les cons de voler. La réédition (38 ans plus tard) de l’album Exile On Main Street ce lundi 17 mai ramènera nombre d’actuels prétendants à la célébrité là où ils méritent de rester : au ras des pâquerettes. Nostalgie ? Que nenni ! Je partage entièrement l’avis de Nick Hornby qui, à propos de son dernier roman Juliet, Naked, déclare : « Pour moi, il y a deux sortes de musiciens. D’un côté, les grands groupes comme les Beatles, les Stones, des chanteurs comme Bob Dylan, qui sont de grands artistes parce qu’ils ont toujours été fans de musique. De l’autre, ceux qui veulent être célèbres à travers la musique. » Aucun rapport, en effet, entre de vrais talents créatifs et des produits lisses, formatés, tout juste générateurs d’un vague plaisir éphémère.

Goodbye England

    1971 : tout bascule pour les Stones. Suite aux entourloupes de leur manager Allen Klein, ils se retrouvent avec une dette de 29 millions de dollars. S’ils parviennent à se débarrasser de ce personnage peu reluisant (il est décédé le 4 juillet 2009 à l’âge de 77 ans, victime de la maladie d’Alzheimer : paix à son âme !) en ne renouvelant pas leur contrat avec Decca et en créant leur propre label, ils se font quand même bien arnaquer. Klein garde les droits sur tous les morceaux enregistrés et édités durant la période 1963-1970. Sa société ABKCO (Allen B. Klein Company) en est d’ailleurs toujours propriétaire à ce jour. C’est grâce à elle qu’est sortie (novembre 2009) la magnifique réédition de l’album live Get Yer Ya-Ya’s Out ! et les Stones n’ont pas touché un picaillon pour l’occasion. C’est ballot, non ? Toujours est-il qu’en 1971, ils sont fauchés. C’est le moment que choisit l’establishment, incarné à l’époque par le Premier Ministre conservateur Edward Heath, pour les enfoncer encore un peu plus. Après avoir vainement essayé de les foutre en taule pour des histoires de drogue, il lance le fisc à leurs trousses. Le Daily Telegraph révèle que le chiffre d’affaires réalisé par le groupe depuis le début de sa carrière  se monte à 83 millions de livres. La somme mentionnée est sans doute exagérée et Jagger la juge grotesque. En tout cas une chose est sûre, c’est que la Couronne britannique n’hésite pas à taxer les Stones à 97 %. Trop, c’est trop ! Mick, Keith et les autres décident de quitter l’Angleterre et de s’installer en France. Le 5 mars 1971, leur agent publicitaire, Les Perrin, déclare qu’ils ne partent pas pour échapper au fisc (bah tiens) mais parce qu’ils aiment énormément la France. Le 30 mars : soirée d’adieu au Skindles Hotel, à Maidenhead, près de Londres. Parmi les invités on note la présence de John Lennon, Yoko Ono et Eric Clapton.

Nellcôte ou Hellcôte ?

    Comme le dit Aznavour (Emmenez-moi), « il me semble que la misère serait moins pénible au soleil ». Forts de ce conseil, les Stones mettent le cap sur le sud de la France. Leur misère est, il faut bien le dire, toute relative. Ils n’arrivent pas au Port Pierre Canto de Cannes « sur un rafiot craquant de la coque au pont » mais sur un yacht. Mick prend une maison à Mougins, fief de Pablo Picasso. Bill Wyman s’installe à La Bastide Saint-Antoine à Grasse. Par la suite, il dénichera une villa à Vence où il vit toujours, c’est elle qui figure sur la pochette de son album éponyme Bill Wyman (1981), j’en connais l’adresse précise pour m’y être rendu mais je me garderai bien de vous la communiquer. Mick Taylor habite également Grasse. Charlie Watts, en bon père tranquille, s’est retiré dans une petite ferme des Cévennes. Quant à Keith Richards, dernier arrivé, il loue une somptueuse villa à Villefranche-sur-Mer : la villa Nellcôte. Au départ, les Stones pensaient pouvoir trouver un studio à Cannes, Nice ou Marseille mais, leurs recherches n’ayant pas abouti, ils décident finalement d’installer leur matériel dans le sous-sol de la villa de Keith. C’est là qu’ils enregistrent leur nouvel opus qui aurait très bien pu s’appeler Exile At Nellcôte si le mixage final n’avait eu lieu dans les studios de Main Street à Los Angeles. Jamais les circonstances entourant la confection d’un album n’en ont autant déterminé le contenu. De juillet à novembre 1971 Nellcôte se métamorphose en Hellcôte. Une saison en enfer, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Robert Greenfield : A Season In Hell. Les Stones apprennent à danser avec le Diable (Dancing With Mr D. ne sortira que sur l’album suivant : Goat’s Head Soup). Si une bannière avait été accrochée au portail de Nellcôte, c’eût été : Sex& Drugs & Rock’N’Roll. Les bouteilles, les joints mais aussi les filles passaient de main en main. On raconte même que Jagger aurait profité de ce que Richards s’assoupisse après une prise d’héroïne pour coucher avec sa compagne d’alors Anita Pallenberg, réitérant ainsi leur brève aventure pendant le tournage de Performance, une année auparavant. A Nellcôte c’est opération portes ouvertes tous les jours, un défilé permanent d’amis musiciens (le saxophoniste Bobby Keys, le pianiste Ian Stewart, le producteur Jimmy Miller, Gram Parsons qui a peut-être participé à l’enregistrement d’ Exile On Main Street mais qui a surtout passé son temps à se droguer avec son pote Keith), de techniciens, photographes (Dominique Tarlé), célébrités locales, fans, parasites, dealers, squatters en tous genres. On entre et on sort comme dans un moulin, à tel point qu’un jour de septembre, en plein jour, des cambrioleurs ressortent tranquillement de la villa en emportant neuf guitares appartenant à Richards, le saxophone de Bobby Keys et la basse de Bill Wyman pendant que ses occupants regardent la télévision dans la salle de séjour. « Nous avons récupéré la plupart des guitares. La justice l’a emporté. N’en disons pas plus. » dira Keith Richards, laissant courir la rumeur que les auteurs du vol, des dealers venus de Marseille pour récupérer l’argent qu’il leur devait, auraient fini au fond de la baie de Villefranche, les pieds enserrés dans un bloc de ciment. Keith conserve de très bons souvenirs de son séjour à Nellcôte : « Il y avait un cuistot, Big Jacques, qui a fait sauter la cuisine. Une énorme explosion ! ». Il se rappelle aussi qu’ils s’amusaient à piquer le courant à la SNCF quand les plombs sautaient ou que le générateur flanchait.

    Si vous passez par Villefranche-sur-Mer et que l’envie vous prend de voir en vrai la villa Nellcôte sans laquelle Exile On Main Street n’aurait jamais existé, évitez-vous de longs errements, prenez la direction de Saint-Jean-Cap-Ferrat et demandez la Résidence Pierre (Stone, en anglais) & Vacances. C’est juste à côté. Vous croyez au déterminisme ? La Résidence s’appelle L’Ange Gardien. Il n’en fallait pas moins pour veiller sur Keith et sa bande. « On se droguait. Cela dit, pas question de m’imiter. Tout le monde n’a pas ma constitution ! La réalité, c’est que nous avons pris un grand risque en réalisant Exile dans ces conditions. Mais ça a marché. L’album le prouve. Les Stones sont capables de casser la baraque lorsqu’ils prennent des risques » (Keith Richards).

                                                                                                      Jumpin’ Jack D.