lundi 19 novembre 2012
L I T T L E B O B Le rock s’écrit aussi. Il est très à la page. Les autobiographies déboulent en librairie comme des rafales de riffs. Vous n’avez pas pu passer à côté de celle de Keith Richards (Life) ou celle de Patti Smith (Just Kids) mais le livre de Little Bob, La Story, vous a peut-être échappé. Leçon de rattrapage ! Un mètre soixante, mais le talent ne se mesure pas en centimètres Quel livre ! 250 pages retraçant la vie et la carrière de la figure légendaire du rock français. Little Bob a traversé les époques, les modes, survécu aux excès en tout genre et, à 65 ans, il nous livre ses mémoires. Co-écrits avec Christian Eudeline, frère cadet de Patrick. Patrick Eudeline, que vous connaissez forcément : ex-chanteur d’Asphalt Jungle (un des premiers groupes punk français, fondé en 1977) et surtout connu pour son statut d’icône de la critique rock, de Best jusqu’à Rock & Folk en passant par Actuel et Libération. Préfacés par Jean-Bernard Pouy, auteur de romans noirs, créateur du personnage Gabriel Lecouvreur (dit Le Poulpe), fana de rock et ne ratant jamais par là l’occasion de citer Little Bob dans chacun de ses bouquins, aimant le comparer à Marguerite Duras en blouson de cuir et lunettes noires ! Pouy se montre véritablement dithyrambique à propos de Little Bob. Selon lui, c’est une sorte d’oxymore vivant. « Little » Bob est GRAND. Rien à lui reprocher. C’est un pur : fidèle à ses potes, à son histoire, à sa famille, à une ligne de conduite. C’est un rebelle : après un concert de Bob, on rentre toujours à la maison en brûlant les feux rouges. Les interdits, très peu pour lui ! Au jeu des ressemblances, vous avez remarqué le point commun entre la photo de couverture de Life et celle de La Story ? La cigarette allumée fièrement arborée ! Working Class Hero Little Bob se souvient de son enfance à Alessandria, ville italienne située dans la région du Piémont, dans la plaine du Pô, doublement célèbre pour la bataille de Marengo et le Borsalino. Ecole buissonnière et parties de football sur la place du monument aux morts où les « gatte » le poursuivaient, lui et ses camarades, pour leur confisquer le ballon. Rébellion et insoumission face aux profs et aux flics. Il avait de qui tenir, bon sang ne saurait mentir ! Son grand-père paternel, Vincenzo, était anarchiste dans l’âme. Il tenait une papeterie mais, comme il passait son temps sur la route et n’était jamais chez lui, il avait confié à son fils le soin de gérer le magasin. Libero, puisque c’est de lui qu’il s’agit (Bob lui dédiera son onzième album sorti en 2002) n’avait rien d’un commerçant. Il était jeune…et préférait peindre ses tableaux. Lorsqu’il hérita de l’affaire, la faillite fut vite au rendez-vous. A l’époque, la France avait besoin de main d’œuvre bon marché et il accepta un poste d’ouvrier métallurgiste aux Tréfileries et Laminoirs du Havre. En attendant que sa femme le rejoigne, il lui envoyait, à chaque fin de mois, une grosse partie de son salaire. En mars 1958, Bob, qui va bientôt avoir 13 ans, débarque gare de Lyon, avec sa mère, son frère Andrea et sa sœur Maura. Libero les récupère et cap sur le Havre via la gare Saint-Lazare. Il leur a trouvé un petit appartement de deux pièces sous les toits, à Saineville-sur-Seine, à 25 kilomètres du Havre. Bob découvre la campagne pour la première fois. Au début, il est très malheureux. Il prend le bus tous les jours pour suivre les cours chez Pigier. Sa seule distraction est de dresser le berger allemand des propriétaires à attaquer les poules ! Et puis, dans ce pays, il pleut tout le temps, le ciel est gris, il fait froid, mais c’est là que son père a décidé de gagner son pain et refaire sa vie. Il travaille dans un atelier d’étirage, il transforme les barres de cuivre en fils électriques « avec ses mains d’or ». Bob est fier de son père et dès qu’il pourra, lui aussi, travailler à l’usine, il le fera. Ca lui paraît normal : les temps sont durs et la famille a besoin de son salaire. En 1961, il quitte donc l’école Pigier et entre dans la vie active. Il est embauché dans la même boîte que son père mais comme coursier. Il monte rapidement en grade et se retrouve dans un bureau. C’est là qu’il écrit ses premiers textes de chansons grâce à la complicité de son chef de service qui fait mine de ne s’apercevoir de rien. Qu’il me soit ici permis de remercier, au nom de tous les fans de Little Bob, Monsieur Toullec ! Comme quoi tous les chefs de service et autres supérieurs hiérarchiques ne méritent pas tous de finir pendus au bout d’une corde ! En Mai 68, Bob participe aux grandes grèves sur le port du Havre. Il lève le poing avec ses camarades devant les grilles fermées de l’usine où il travaille depuis qu’il a 16 ans. Ce n’est qu’en 1974, juste après le concert qu’il donne à l’UCJG (Union Chrétienne de Jeunes Gens !) du Havre, le 16 mars, qu’il décide d’abandonner le travail en usine et de devenir musicien à plein temps. Le groupe Little Bob Story en est déjà à sa seconde mouture : Dominique « Barbe Noire » Lelan à la basse, Serge Hendrix à la guitare, Dominique Quertier dit Mino à la batterie. Le mystère des guitares volées à Nellcôte enfin résolu Grâce à Little Bob on a retrouvé une des neuf guitares appartenant à Keith Richards (voir Heart Of Stone #1 : Exile On Main Street). Quand Serge Hendrix -il préfère le hard rock-quitte LBS, c’est Guy-Georges Gremy qui le remplace. Eurasien d’origine, il vient de Nice et habite au Havre depuis un mois. A force de faire des gammes trois heures par jour chez lui, il est devenu excellent guitariste. Il joue sur une super guitare, une Gibson Flying V couleur bois. Bob lui demande où il l’a achetée et Guy-Georges lâche le morceau. Alors qu’ils habitaient la villa Nellcôte à Villefranche-sur-Mer et y enregistraient l’album Exile On Main Street, les Stones s’étaient fait cambrioler. Les guitares de Keith Richards, notamment, avaient disparu. Celle que Guy-Georges tenait entre ses mains faisait partie du lot. Il l’avait achetée à un revendeur de Nice pour 1000 balles. Bob savait que sa nouvelle recrue avait fait un petit tour derrière les barreaux à cause de chèques volés et qu’il avait déménagé en Normandie précisément pour ne plus fréquenter les petits voyous du Midi mais il n’en revenait pas qu’il puisse jouer sur la guitare de Keith Richards. L’originale, pas une imitation. Mais l’histoire ne s’arrête pas là ! Lors de la balance qui précède un concert donné en commun avec les Heavy Metal Kids, le guitariste du groupe, Mickey Waller, se précipite sur Guy-Georges. « T’as la même guitare / Que Keith Richards / T’arrêtes ta frime / J’parie qu’c’est une vraie Flying V / Elle est carrément pas craignos ». Il lui propose de la lui vendre ou de l’échanger contre sa Les Paul Custom noire avec ses trois micros dorés. Bob conseille à Guy-Georges d’accepter l’échange : cette fameuse Les Paul est une très bonne guitare même si elle ne vaut pas la Flying V…et surtout elle est moins facilement repérable. D’ailleurs, Mickey Waller leur précise : « Je vous file cette guitare en attendant, la prochaine fois qu’on se verra, j’en aurai une autre, encore mieux, à vous proposer ». Six mois plus tard, ils le croisent à nouveau, avec une imitation japonaise dans les mains. En les voyant arriver, il pousse le volume de son ampli Marshall à fond et se met à jouer Smoke On The Water. « On fait l’échange comme on avait dit ? – Non merci, tu la gardes ta merde ». Tel est pris qui croyait prendre. Mickey Waller échangera finalement la Gibson Flying V contre trois Les Paul avec le guitariste d’Uriah Heep, Mick Box. Hey Keith, si tu veux récupérer ta guitare, tu sais à qui t’adresser ! Tout, tout, tout, vous saurez tout sur La Story Bon, je ne vais quand même pas vous raconter tout le bouquin, le but du jeu étant de vous le faire acheter. Des anecdotes comme celle-ci, vous en trouverez à la pelle. Si vous vous étiez jamais demandé ce qu’est une vie de rocker, Little Bob vous apporte la réponse. Une vie de rocker, c’est…la sienne ! Des concerts mythiques. Son premier passage au Marquee, le 2 avril 1976. J’y étais. A cette époque-là, j’étais tout le temps fourré à Londres et c’était pendant les vacances scolaires. A la joie indicible de me trouver là face à Bob en ce lieu magique s’ajoutait le plaisir non moins grand de me livrer au sport favori des habitués du Marquee : quitter témérairement les premiers rangs, s’aventurer sans GPS vers le fond de la salle, y conquérir le Graal tant convoité : deux pintes remplies à ras bord et, ultime exploit, revenir à son point de départ en zigzaguant sur le parquet devenu glissant pour, enfin victorieux, déposer en offrande à sa dulcinée ce qui restait du très précieux liquide. Autres concerts historiques, ceux que donne Little Bob Story dans le cadre du festival punk de Mont-de-Marsan organisé par Marc Zermati (Fondateur de la boutique l’Open Market à Paris, ce dernier sortira sur son label Skydog des disques de Tyla Gang, des Flaming Groovies, des Stooges). En dehors de Bijou, LBS est le seul groupe français, même s’il chante en anglais, à avoir participé aux deux éditions de Mont-de-Marsan en 1976 et 1977. Il peut se targuer d’y avoir côtoyé Clash et Police. Qui dit concert de rock fin des années 70 dit forcément alcool et drogue. On sait maintenant que les parties de guitare figurant sur le premier album live, enregistré à Londres au Music Machine (une super salle devenue le Camden Palace en 82 et qui, depuis 2004, s’appelle Koko) et au Greyhound les 23, 24 et 25 juin 1979 durent être réenregistrées en studio quelques semaines plus tard. Guy-Georges était complètement défoncé. Souvent le concert tourne à l’émeute comme à Toulouse, le 11 mai 1977. C’est aujourd’hui difficile à imaginer mais il était de bon ton parmi certains qui se proclamaient anarchistes de vouloir entrer dans la salle sans payer. C’est ce qui se produisit à la Halle aux Grains mais les policiers, eux, n’étaient pas du tout d’accord. Résultat des courses : dix chiens de CRS tués. Pôv bêtes ! “Do you know this town/In the south west side of France/Where the Rock’n’roll gigs turn in riot/All the time/I’m talking about Toulouse/The kids have nothin’ to lose” ( Riot In Toulouse, extrait du deuxième album studio Livin’ In The Fast Lane, 1977). En 2011, Little Bob est resté le même. Ce sont les autres qui ont changé. Time to blast, lance-t-il à la face du monde entier. C’est le moment de tout faire péter et de botter le cul à quelques-uns. Il ne sait pas quand ça arrivera ni même si ça arrivera parce que les gens n’ont plus envie de descendre dans la rue. Ils ont trop peur de tout perdre. Mais il a encore envie d’y croire. En attendant le Grand Soir, il règle ses comptes avec les cyniques qui ont eu le malheur de croiser sa route : José Arthur, Bernie Bonvoisin, Dick Rivers, Nagui et même Elliott Murphy. Il s’est engueulé avec eux (Pour quelle raison ? Lisez le livre !) mais il ne leur en veut plus. C’est bien connu, le Taureau voit rouge mais n’est pas rancunier. Le Taureau, c’est son signe astrologique (Bob est né le 10 mai 1945), c’est aussi l’animal qui orne la pochette de son dernier album Time To Blast sorti en 2009, c’est enfin le tatouage qu’il s’est fait faire un jour à Montpellier. Etonnez-vous, après cela, si Little Bob fonce tête première dans la vie, bousculant tous les obstacles. Ne tardez pas à vous procurer cette merveilleuse autobiographie, publiée chez Denoël ! Pour une fois, Bob a pris le temps de s’arrêter et de regarder en arrière pour reconstituer le puzzle de sa vie mais il y manque une pièce indispensable : la vôtre. Car sans son public, Little Bob n’existe pas. Et bientôt il foncera à nouveau sur la route. Rock on ! Jumpin’ Jack D.