jeudi 18 octobre 2012


RAY  DAVIES
D



      Terrassé par l’annonce de l’annulation du concert des Damned au Trabendo le 28 octobre dernier (Dave Vanian avait mal au dos et était dans l’incapacité de jouer), j’avais bien besoin de me « reKinkuer » ! Mais Ray Davies n’allait-il pas, lui aussi, s’amuser à me faire faux bond ? Son concert, prévu le 19 octobre à l’Ancienne Belgique, à Bruxelles, avait été annulé « pour cause d’enregistrement ». Il était rentré en studio pour mettre la touche finale à son dernier album, baptisé See My Friends, où il revisite le répertoire des Kinks en compagnie d’une belle brochette d’invités…dont Bruce Springsteen, Jon Bon Jovi, Metallica et Arno !


Viendra, viendra pas ?

      Ray Davies avait choisi l’Olympia pour son unique concert français. Je l’avais déjà vu  deux fois. A l’époque, il tournait encore avec les Kinks. C’était plutôt de bon augure. Jamais deux sans trois. La première fois, c’était dans les années 60, salle Roger Salengro à Lille, à l’emplacement de l’actuel Théâtre du Nord. Je garde en mémoire les chaises rouges métalliques, décorées de la fleur de lys, fournies par la Mairie. Les premiers rangs étaient réservés aux notables du cru qui avaient brillé par leur absence. Par contre, ça s’agitait ferme au balcon où un fan, suspendu par les pieds, agitait un drapeau britannique pour manifester sa joie (Si vous étiez, vous aussi, à ce concert et vous rappelez la date exacte, n’hésitez pas à m’en faire part. Je n’ai pas conservé le billet mais y avait-il même un billet ? A en croire l’acteur Robin Williams : « Si vous vous souvenez des années 60, c’est que vous n’y étiez pas »). La seconde fois, c’était au Cirque Royal de Bruxelles, le samedi 20 avril 1985. Les Kinks venaient promouvoir leur album Word Of Mouth (Bouche A Oreille), leur dernier chez Arista Records, leur premier sans Mick Avory qui, en butte aux tracasseries de Dave, le frère de Ray, avait préféré quitter le groupe. J’ai toujours le tee-shirt de la tournée mais je ne peux plus le mettre. Sans doute a-t-il rétréci au lavage…à moins que je n’aie légèrement forci. A la veille de revoir Ray Davies, 25 ans plus tard, je nourrissais encore des doutes sur sa venue. Le plus simple était de vérifier à la source. Direction : Boulevard des Capucines. Eddy Mitchell et sa dernière séance s’inscrivent fièrement en grosses lettres rouges sur le fronton de l’Olympia. Je pénètre dans le hall d’entrée et passe en revue les affiches annonçant les futurs concerts. Pas plus de Ray Davies que « d’beurre din l’païelle », comme disait ma grand-mère. Renseignement pris à la caisse, la Production (Gérard Drouot) n’a pas cru bon de se fendre d’une affiche mais le concert aura bien lieu. Me voilà donc à moitié rassuré !

Olympia, dimanche 31 octobre 2010, 19h30

      Les lumières s’éteignent. Donoré entre en scène. C’est qui, Donoré ? Bonne question ! Donoré, c’est le pauvre garçon censé nous faire patienter en attendant l’arrivée de Ray Davies. Installé au premier rang (j’ai pris mes places dès l’ouverture de la location, début mai), je me retourne. Finalement, Gérard Drouot a bien eu raison de ne pas trop se fatiguer : la salle est pleine. Par charité chrétienne, je ne m’attarderai pas sur la prestation de Donoré. Mais que diable était-il venu faire dans cette galère ? Nous présenter son premier album Je Viens A Toi. On ne lui avait pourtant rien demandé. Souhaitons lui une belle carrière en tout cas car, ce soir-là, il n’avait pas l’ombre d’une chance devant un public qui n’était venu que pour  Ray Davies. Un public qui, malgré tout, avec une politesse digne d’éloges, le laissera conter jusqu’au bout ses déboires amoureux, accompagné de sa seule guitare acoustique et lui saura surtout gré de confier in petto : « Ray Davies m’a demandé de vous faire chanter ! ». Au moins, maintenant, on était sûr et certain que Ray n’était pas loin et n’allait pas annuler son concert.

Des singles comme s’il en pleuvait !

      « Et, et, Ray est arrivé/Sans s’presser/Le grand Ray, le beau Ray ». Tout de noir vêtu, veste militaire très « sixties » avec quatre poches à rabat sur le devant, boots marron, il est resté ce dandy cool qui venait autrefois se faire confectionner des chemises sur mesure chez Heydrich and Keys, rue de Rivoli, près de la place de la Concorde. Ca ne l’empêche pas, bien sûr, de vieillir comme tout le monde. Son front s’est dégarni. Pour sauver la mise, il a poussé la coquetterie jusqu’à ébouriffer un peu ses cheveux sur le devant. Et puis il y a ce sourire lumineux qui efface les outrages du temps. Il est accueilli par une salve d’applaudissements. On lui aurait bien réservé une standing ovation mais lui-même s’est rapidement assis sur un tabouret, imité par un second guitariste qui se révèlera tout au long de la soirée d’une grande efficacité. Bill Shanley : retenez bien son nom ! Il est né à Clonakilty, petite ville du comté de Cork en Irlande. Le décor est minimaliste. Aux pieds de Ray, un cube avec ses initiales sur lequel il va marquer la mesure. Et c’est parti pour un duo acoustique dont le dépouillement nous permettra d’apprécier d’autant plus la qualité du son : voix, guitares, mixage. Ray nous a prévenus : « Cela fait si longtemps que je n’ai pas joué ici, à Paris…alors on va essayer de vous en faire un maximum ! ». Et il tient parole. Premier titre : This Is Where I Belong, issu des séances d’enregistrement de l’album des Kinks Face To Face (1966) mais qui ne sortira qu’un an plus tard en face B du single Mister Pleasant. Les paroles sont de circonstance : “Tell me now if you want me to stay/It don’t matter ‘cause I’d stay here anyway/For this is where I belong” (Dis moi à présent si tu veux que je reste/Mais peu importe, je resterai ici de toute façon/Car je me sens chez moi, ici). Ray est heureux d’être là, ça se voit. Et nous donc ! Il reprend ce titre sur son nouvel album, dans une version assez surprenante, en duo avec Frank Black, l’ex-leader des Pixies. « Je l’ai laissé choisir le ton et décider du style dans lequel on a fait la chanson. Il s’est agi d’aborder la chose avec une grande ouverture d’esprit. Il a fallu un peu lâcher les rênes… ». Ray enchaîne avec I Need You, une autre face B, celle de Set Me Free (single enregistré les 13 et 14 avril 1965, aux studios Pye de Londres). Il nous fait comprendre qu’il a effectivement besoin de nous et nous invite à frapper dans nos mains. Clap your hands ! On ne se fait pas prier. Suivent Autumn Almanac (paru en single en 1967) et Next Door Neighbour (provenant de son album solo de 2006, Other People’s Lives). Quand Ray se met à chanter l’un des plus grands tubes des Kinks, Dedicated Follower Of Fashion, sorti en single (encore !) en 1966, le public, qui est un public de connaisseurs, ne se sent plus de joie et tout l’Olympia reprend en chœur : « Oh yes he is ! ». Ray embraie directement sur Apeman, L’Homme Singe, devenu Superman dans la version de notre Serge Lama national. Une erreur de casting, sans doute ! Qui a copié l’autre ? Et, vous l’aurez deviné, Apeman est aussi un single publié une semaine avant l’album sur lequel il figurera, Lola Versus Powerman And The Money-Go-Round, Part One (novembre 1970). Ray en rajoute une couche avec les deux morceaux qui concluent son set acoustique. See My Friends et Dead End Street sont…des singles (Bingo !) respectivement sortis en 1965 et 1966. See My Friends, un grand moment d’émotion! Cette lente mélopée aux accents indiens nous fait penser à George Harrison et Ravi Shankar, sauf qu’elle est antérieure à la vague hippisante. Ray y évoque le souvenir de sa sœur Rene (il avait six sœurs aînées et un frère cadet, Dave), morte alors qu’elle dansait dans un night-club. C’est elle qui lui offrit sa première guitare pour son treizième anniversaire, le 21 juin 1957. « She just went/Went across the river/Now she’s gone/Wish that I’d gone with her » (Elle est partie vers l’autre rive/Maintenant qu’elle est partie, je voudrais être parti avec elle). A propos de la reprise de See My Friends sur l’album du même nom qui vient de sortir et de sa collaboration avec Spoon, Ray déclare : « J’ai pensé à Spoon après avoir réalisé une interview avec le chanteur Britt Daniel, pour un magazine. Nous avons aussi joué dans le même festival, South By Southwest (à Austin, au Texas), plus tôt cette année. Apparemment, ils ont donné un super concert qui a fait d’eux le clou du festival. Une fois encore, ça s’est fait par un heureux concours de circonstances. Ils étaient en tournée en Angleterre au moment où je mettais en boîte des morceaux ». Quant à son duo avec la chanteuse écossaise Amy Macdonald sur Dead End Street : « Elle ne pouvait pas chanter le titre dans la même tonalité que moi, alors j’ai adapté la chanson et écrit une harmonie sur laquelle nous nous sommes calés. J’ai aussi écrit une nouvelle intro, différente de celle qu’on trouve sur l’enregistrement des Kinks. J’ai écrit un nouveau mouvement qui ressemble à une chanson swing ».

Tee-shirt made in Haiti

      A la fin de Dead End Street, Ray est rejoint par le reste du groupe : claviériste, batteur et bassiste. Le concert prend alors une tout autre allure. De très bon il passe à excellent. Il était acoustique, intime. Il devient électrique, remuant, sauvage. Lancé sur ses rails, il monte inexorablement en puissance. On sait où on va et on y va très vite. Rock’n’roll ! I’m Not Like Everybody Else. C’est vrai qu’il n’est pas comme tout le monde. A 66 ans passés, Ray est encore capable de sauter en l’air tout en jouant et de se rétablir en grand écart. Celluloid Heroes, une chanson de plus de six minutes dans laquelle il égrène les noms des grandes stars d’Hollywood : Greta Garbo, Rudolph Valentino, Bela Lugosi, Bette Davis, George Sanders, Mickey Rooney et Marilyn Monroe. Sur son nouvel album, Ray reprend Celluloid Heroes avec le groupe Bon Jovi. « Je les ai rencontrés il y a environ huit ans, à une cérémonie de remise de prix. Bon Jovi se produisait à Londres, et le groupe m’a demandé d’être leur invité. Alors on a joué cette chanson à Hyde Park. On avait donc déjà un passé commun. Quand on s’est mis au travail sur le titre, on a trouvé une copie pirate de ce concert  sur iTunes ou un site du même genre. On a basé notre arrangement dessus. Jon a enregistré des voix super à New York, et Richie Sambora est venu aux studios Konk (dont Ray Davies est le propriétaire) pour enregistrer les guitares ». On ne quitte pas le cinéma (il y a un fil conducteur à ce concert). Ray nous interprète deux chansons qu’il a écrites pour The American Friend (1977), le film de Wim Wenders avec Dennis Hopper : Nothin’ In The World Can Stop Me Worryin’ ’Bout That Girl et Too Much On My Mind. Très à l’aise, il nous fait des confidences. Parlant de cette fille de 17 ans dont il était follement amoureux et qui inspira la première chanson, il avoue qu’elle lui brisa le cœur mais que maintenant il ne se souvient même plus de son nom (« she broke my heart but now I can’t even remember her name »).The Tourist, un autre extrait de Other People’s Lives, injustement négligé par la majorité des rock critics. Il regrette d’être allé à La Nouvelle-Orléans et n’hésite pas à faire son autocritique. « Je ne suis qu’un touriste comme un autre qui dépense mon fric avec mes potes au milieu des taudis ». Alors, Ray, je t’en supplie, veille d’un peu plus près à  la fabrication de tes tee-shirts. Je me suis aperçu, après coup, qu’on avait oublié d’imprimer les dates de la tournée sur le dos du tee-shirt que je m’étais fait refiler au merchandising, ce que le collectionneur que je suis n’a pas du tout apprécié. J’ai, surtout, constaté avec effroi que ce tee-shirt était « made in Haiti ». Ca coûte combien de faire fabriquer un tee-shirt en Haïti (surtout en ce moment !) quand on le revend 30 € à l’Olympia de Paris ?

Dave Davies est un trou du c.. et moi, j’ai serré la main de son frère

      En plein milieu de  The Tourist, Ray offre à ses musiciens leur moment de gloire. Il part en coulisses, les laissant improviser. Il revient sur scène en chemise popeline finement rayée et vieilles Converse usées. On sent que ça va barder. Mais avant, il nous présente le groupe. A la basse : Dick Nolan, à la batterie : Damon Wilson et aux claviers : Ian Gibbons, rescapé des dernières années Kinks (1979-1989 et 1993-1996). Treize ans avec les Kinks ! Mais qui l’a reconnu ? Sunny Afternoon, que Ray dédie à tous ses amis français. Certainement pas à ceux qu’il dépeint avec tant d’ironie, ceux qui paient l’ISF, ceux dont « le percepteur a pris tout le blé, les laissant dans leur élégant domicile paresser par un après-midi ensoleillé ». Un moment très amusant, celui où un spectateur lui réclame Alcohol. Visiblement, le groupe n’a jamais répété ce morceau et Ray a oublié une partie des paroles. Souhaitant mettre au plus vite un terme à cette improvisation, il s’écrie « A major ! » (La majeur) et tous s’arrêtent sur le même accord. Après Moments (Il faut attendre la dernière plage de See My Friends pour découvrir cette très belle chanson composée et interprétée, chacun dans sa langue, par Ray Davies et Arno. « C’est quand même dingue », déclare ce dernier. « L’un de mes premiers disques, acheté à Ostende, c’est un Kinks. Et je me retrouve à chanter avec lui ! ». A noter qu’Arno sera en concert à l’Aéronef de Lille ce samedi 4 décembre), place à Vietnam Cowboys, qui ouvre le dernier album solo de Ray Davies, Working Man’s Café (2007). Quand les cowboys sont là, les indiens ne sont pas loin et le groupe termine le morceau par le célèbre Apache des Shadows. Les hostilités peuvent commencer, on touche au but ! Ray démarre You Really Got Me comme un blues, tel qu’il l’avait lui-même composé, et explique comment son trou du c.. de frangin (sic) qui n’avait que 16 ans à l’époque (1964) a réussi, en studio, à le transformer en morceau de hard rock grâce à son fameux riff « da-da-da-da-dah ». Quand le groupe envoie la sauce « façon Van Halen », tout le monde se lève. Je me retrouve collé contre le devant de la scène. Et à 21h45 en ce dimanche 31 octobre 2010, je serre la main de Ray Davies ! Après, je ne me souviens plus de rien. Non, je rigole ! Ray tire un papier de sa poche et cite, dans le désordre, tous ceux qu’il aimerait remercier : Godard, Juliette Greco, les croissants, les caniches, Marcel Cerdan, Yves Montand, Coco Chanel, Gainsbourg, Simone Signoret, Jeanne Moreau, Bardot, Piaf, Brassens, Jean Gabin, Cézanne, Monet, le vin, Jacques Tati, Méliès… Et ça le rend très heureux, lance-t-il, avant d’enchaîner tout naturellement sur Till The End Of The Day : “Baby, I feel good/From the moment I rise/Feel good from morning/Till the end of the day”. On a encore droit à l’incontournable Lola repris en choeur par un Olympia en délire: Lola, lo lo lo Lola, avant le rappel et les ultimes Victoria (« And the rich were so mean », Et les riches étaient tellement mesquins. Ray nous fait constater que rien n’a vraiment changé), 20th Century Man et All Day And All Of The Night. Et puis, c’est déjà fini. Il est 22h05. Il ne nous a pas chanté Waterloo Sunset mais célébrer Waterloo devant des Français, c’eût été manquer de tact, n’est-il pas ?

                                                                                                         Jumpin’ Jack D.