mardi 2 octobre 2012


                                RAY  DAVIES



Milieu des années 60 : la  « British invasion » déferle sur l’Hexagone. Toute une génération de jeunes rockers ne sait où donner de la tête ni à qui porter son adhésion … et son argent. Pas de téléchargement à l’époque et les disques des Beatles, des Stones, des Animals, des Who, des Kinks se vendent à des millions d’exemplaires. Par la force des choses, on choisit son camp. Et j’en connais beaucoup à Lille qui, grâce à l’initiative d’un organisateur fou (qu’il en soit ici remercié !) rejoignirent l’armée des Kinks, les plus britanniques des « British invaders ».

Kink Konk

         De ce concert donné salle Roger Salengro je me souviens – détail incongru – des sages rangées de chaises en fer rouges à fleur de lys, prêtées par la mairie, et d’un fan déchaîné, pendu par les pieds au balcon, agitant un drapeau anglais. Je me souviens surtout d’être tombé, ce jour-là, (du balcon ? non !)… dans un chaudron dont jamais, au grand jamais, je ne sortirai. Depuis, 40 ans ont passé. Le dernier concert des Kinks a eu lieu le 15 juin 96 à Oslo mais Ray Davies est toujours là et vient de publier sur le label V2 son premier album solo officiel, si l’on ne tient pas compte de la musique du film Return To Waterloo en 85 et du merveilleux live The Storyteller  en 98. En effet, Raymond Douglas Davies a plus d’une corde à son arc. Le cinéma et l’écriture ont été d’autres sources d’inspiration pour lui. Return To Waterloo racontait l’histoire d’un jeune cadre, « a well-respected man », confronté à la violence du monde moderne. The Storyteller mêlait lecture d’extraits de son livre et chansons interprétées à la guitare sèche. Mais revenons au tout nouvel album : Other People’s Lives . Cet excellent opus, intelligent et sensible, de l’ex-leader des Kinks a été enregistré au studio Konk !!! Créé au début des années 70, le studio, explique-t-il, « appartient aux Kinks. Seul mon frère n’y met plus les pieds. Nous avions fait surtout des singles et nous voulions expérimenter des idées. Il nous fallait un endroit pour nous fixer. Autrefois, les amis venaient, il y avait un bar et un club bon enfant. C’était l’utopie d’une communauté musicale. » L’ancien QG des Kinks est situé à deux pas de la maison où Ray a vu le jour, niché dans une rue de Muswell Hill, ce quartier ouvrier au nord-ouest de Londres qu’il a si bien décrit en 71 dans l’album Muswell Hillbillies et auquel il reste attaché. En témoigne un des titres de son nouveau disque Run Away From Time qui, impulsé par l’orgue Hammond et un remarquable solo de guitare, nous convainc qu’il est plus facile d’échapper à soi-même que de s’affranchir d’un contexte social. Pour ce septième enfant d’une famille de huit (six sœurs : Renee, Rosie, Dolly, Joyce, Peggy et Gwendolyn + son frère cadet Dave), la vie n’a pas toujours été facile. Ray a toujours voulu fuir son milieu populaire. Fuir, cela veut dire trouver un boulot, et vite. Dès l’âge de 16 ans il travaille dans un cabinet d’architecte, là aussi, il étouffe. Alors il tente sa chance dans une école d’art où il s’initie à la peinture mais il entre en conflit avec un professeur et il est renvoyé. Ne restera plus que la musique. Il n’empêche qu’il ne reniera jamais les petites gens dont il a essayé de quitter l’univers.

Kink Creole

         Dans le livret d’Other People’s Lives, Ray affirme être récemment passé « de l’enfance à l’âge adulte ». Il était temps pour quelqu’un qui va fêter ses 62 ans le 21 juin prochain ! « J’ai décrit beaucoup d’expériences humaines dans mes chansons et paradoxalement les Kinks m’ont empêché de devenir un adulte. Le rock rend immature. Comme l’armée, il vous coupe de la société. L’aspect positif, c’est qu’il vous permet de garder votre âme d’adolescent. » Et de fait, les premiers mots de l’album sont Things Are Gonna Change (les choses vont changer) mais Ray met tout de suite un bémol à son affirmation The Morning After (demain matin). Promesse d’ivrogne ? Ray sait ce dont il parle. Du temps des Kinks, parfois ivre mort sur scène, il lui arrivait de fracasser des cymbales sur la tête de Dave, son frère ennemi (Liam et Noël Gallagher n’ont rien inventé). De façon plus générale, il a désormais décidé de faire les choses autrement dans sa vie et sa carrière. Par exemple, de traverser l’Atlantique – ce qui lui fut longtemps interdit – pour raviver son inspiration. « J’ai choisi la Nouvelle-Orléans parce que le jazz est la première musique qui m’a inspiré et il m’a remotivé. J’y ai aussi découvert un rap, plus musical qu’ailleurs en Amérique, parce qu’il se danse. J’ai commencé le projet en 98. L’écriture a rapidement pris le pas sur l’enregistrement : à l’arrivée, j’avais 48 chansons, je n’en avais jamais eu autant dans ma vie. » Pourquoi avoir attendu si longtemps (8 ans !) avant de nous livrer ce joyau ? D’abord parce qu’il fallait dégrossir et tailler le matériau pour le réduire à 13 merveilles. Ray n’est pas du genre à galvauder son talent. Et aussi à cause d’une mésaventure qui lui est arrivée le dimanche 2 janvier 2004. Il avait passé la soirée en compagnie d’une amie dans un restaurant du quartier français de la Nouvelle-Orléans. En sortant de l’établissement, deux individus se sont dirigés vers eux et ont arraché le sac à main de la dame. Selon des témoins de la scène, le chanteur s’est élancé à leur poursuite et a saisi à bras-le-corps un des deux agresseurs. Le comparse de celui-ci s’est alors retourné et a tiré une balle de revolver en direction de Ray, l’atteignant à la jambe. Résultat des courses : plusieurs semaines d’hospitalisation. Toujours est-il que le disque trouve beaucoup de son inspiration dans les expériences vécues par Ray lorsqu’il a habité la Nouvelle-Orléans, où il a trouvé un refuge physique et émotionnel.  « J’ai découvert un endroit où j’avais le sentiment d’appartenir, pour la première fois depuis que j’ai quitté Muswell Hill. » The Tourist évoque une ville imprégnée de magie, de vaudou, de plaisir. The Getaway (Lonesome Train) est un air country rock inspiré par le bruit des trains et des bateaux. Thanksgiving Day, le titre caché, restitue fidèlement, grâce aux cuivres, l’atmosphère de fête pré-Katrina. Mais ce que je préfère chez Ray, c’est son ton caustique, acerbe, sarcastique, virulent. Bref, son humour tout britannique. Et le titre que je me passe en boucle est le titre éponyme Other People’s Lives (La vie des autres gens), un air de flamenco sur lequel chante Isabel Fructuoso et qui vilipende les tabloïds. La presse people en prend pour son grade mais ses lecteurs également. « Donnez aux gens ce qu’ils veulent / Du moment que c’est écrit noir sur blanc et croustillant, ils gobent tout. » Comme disait Coluche : « Vous êtes cons aussi, vous êtes pas obligés d’acheter ! »

                                                                                                Jumpin’ Jack Devemy