jeudi 18 octobre 2012


THE  PRETTY  THINGS







         Entre les Pretty Things et la Fête de la Musique à Marcq-en-Baroeul, c’est une longue histoire d’amour. La première fois, c’était en 1989 : un petit podium avait été installé sur le parking du magasin Match. Ils étaient de retour cette année, à l’Hippodrome. Quelques minutes avant de monter sur scène, les deux piliers du groupe, Phil May et Dick Taylor, m’ont confié leurs projets immédiats : un album en édition limitée qui est déjà enregistré et qui sortira à la fin de l’été, ainsi qu’une nouvelle tournée en mars 2012. Et, qu’ils en soient remerciés, ils n’ont pas manqué d’adresser un salut amical au 97 rue du rock.




De l’avantage d’avoir un gros ampli

         Tout commence dans l’arrondissement londonien de Bexley, au Sidcup Art College, où trois jeunes étudiants des beaux-arts, Phil, Dick et Keith ont pris l’habitude de « faire le bœuf » entre midi et deux. Phil, c’est Phil May, né le 9 novembre 1944. Dick, c’est Richard Clifford « Dick » Taylor, alias Steel Hand (Main d’Acier), né le 28 janvier 1943. Vous avez aimé Eric Clapton, Slowhand (Main Lente), vous allez adorer Dick Taylor, Main d’Acier !!! Keith, c’est -mais est-ce bien utile de vous le présenter ?- Keith Richard. Il n’a, à l’époque, pas encore ajouté le « s » final à son nom. Entre deux « Richard » dont un « Taylor is rich », a    priori ça devrait coller et, de fait, Keith invite Dick à former un trio avec un certain Mick Jagger. Il est des choses qui ne s’inventent pas. Phil, Dick, Keith et Mick sont tous nés à Dartford, ville jouxtant Bexley, dans le même hôpital : le Livingstone Hospital. Bonne adresse ! Quant au trio, il s’appelle Little Boy Blue And The Blue Boys. Il est rejoint par Ian Stewart, Mick Avory, futur Kinks et Brian Jones. Ce dernier a vite fait de le rebaptiser les Rollin’ (sic) Stones. Il habite alors au 102 Edith Grove à Chelsea (Metro : Sloane Square. Vous descendez King’s Road jusqu’à World’s End, vous dépassez l’ancienne boutique de Malcolm McLaren et Vivienne Westwood au n° 430, vous continuez tout droit, c’est sur votre gauche). C’est là qu’ont lieu les répétitions. Le 12 juillet 1962, le groupe donne son premier concert au Marquee, où il remplace le Blues Incorporated d’Alexis Korner. Mais le courant ne passe pas entre Brian et Dick, qui supporte mal d’être relégué au second plan. De guitariste il est devenu bassiste, de par la volonté divine de Brian Jones. Dès le mois d’août, il décide d’abandonner ses camarades pour reprendre ses études  au Sidcup Art College. Il sera remplacé par Bill Wyman qui, outre ses qualités intrinsèques, possède un excellent matos. Bill se souvient : « Ils ne m’aimaient pas, mais j’avais un bon ampli (un Vox AC30 pour guitare) et ils avaient sacrément besoin d’amplis à l’époque ! Alors, ils m’ont gardé ».

Beaux ou laids ? Non, Bo Diddley !

         Dick retrouve son copain Phil, chanteur-harmoniciste de son état et celui-ci insiste pour qu’il se remette à la guitare solo. Ils recrutent un bassiste, John Stax (John Edward Lee Fullagar, né le 6 avril 1944 à Crayford, dans le Kent), surnommé ainsi en référence au label soul de Memphis et un guitariste rythmique, Brian Pendleton (né le 13 avril 1944, à Wolverhampton, dans les Midlands). Après avoir essayé deux batteurs : Pete Kitley (ce qu’il fit !) et Viv Andrews, ils tombent  enfin sur le bon : Viv Prince (né le 9 août 1944 à Loughborough, dans le Leicestershire). Avec lui, ils ont touché le gros lot ! « Le grand prêtre de la folie » selon Phil May. Du genre à ne pas comprendre pourquoi on refuse de le servir dans un bar alors qu’il a tout cassé la veille. Mais le problème, c’est qu’il ne s’en souvient plus. Les Pretty Things, c’est ainsi qu’ils ont décidé de se nommer d’après le titre d’un grand classique de Bo Diddley, sont plus crasseux, haineux, hargneux, teigneux, venimeux qu’on peut le rêver. A côté d’eux, les Stones font figure de Beatles. Le 8 mai 1964, sort le premier 45 tours des Jolies Choses, Rosalyn (avec pour face B une reprise du Big Boss Man de Jimmy Reed). Il obtient la 41ème place dans l’émission Top Of The Pops. Fin novembre 1964, Don’t Bring Me Down (repris par Ronnie Bird, Tu Perds Ton Temps) se hisse à la 10ème place, suivi de Honey, I Need (n°13, début 1965). En mars 1965, leur premier 33 tours éponyme, The Pretty Things, est classé 6ème. L’enregistrement fut épique. Le groupe joue tellement fort que le producteur Jack Baverstock, à la tête du label Fontana, tient à peine vingt minutes. Il sort du studio en courant et s’écrie : « Je n’ai jamais vu une telle bande d’abrutis. Je ne reste pas une minute de plus avec eux. Qu’on appelle Bobby Graham pour me remplacer ! ». C’est donc sous la coordination, sinon le contrôle total, de ce batteur devenu producteur qu’est réalisé l’album. Les ingénieurs du son menacent à plusieurs reprises de s’en aller. Finalement, de guerre lasse, ils se contentent d’installer les micros et de laisser faire les Pretty Things. Ceux-ci jouent, comme tous les soirs sur scène, à fond la caisse, l’aiguille poussée dans le rouge. Chez les Pretty Things, on n’a pas l’habitude de transiger ! Tout leur répertoire y passe, dont quatre reprises de Bo Diddley : Roadrunner, Mama, Keep Your Big Mouth Shut (Maman, ferme ta grande gueule ! Conseil amical donné par le chanteur à sa future belle-mère), She’s Fine, She’s Mine et bien sûr Pretty Thing.

£.S.D. vs Lucy In The Sky With Diamonds

         Les Pretty Things se mettent bien vite à explorer de nouvelles frontières. Ils évoluent vers la soul en reprenant le Cry To Me de Solomon Burke. Manque de bol, les Stones décident également de l’enregistrer et leur version détrône celle des Pretty Things. Ce n’est que le début d’une série noire. Le comportement plus que sauvage de Viv Prince à l’issue de leur  tournée en Nouvelle-Zélande (Après une altercation avec le pilote qui doit  les ramener  en Grande-Bretagne, il est jeté hors de l’avion et « reste sur le tarmac ») leur vaut une interdiction à vie sur le territoire  néo-zélandais et les oblige à changer de batteur. Ils pensent, un moment, le remplacer par Mitch Mitchell, futur membre du Jimi Hendrix Experience. Fin 1965, il joue une douzaine de shows avec eux mais c’est finalement  Skip Alan (de son vrai nom Alan Ernest Skipper, né le 11 juin 1948 à Westminster) qui prend la place de Prince. Le deuxième LP des Pretty Things, Get The Picture ?, sort en décembre 1965. Il reste très proche du rhythm’n’blues et contient d’excellents titres, composés par Phil et Dick, tels que Buzz The Jerk, Can’t Stand The Pain ou We’ll Play House. Le morceau cosigné par Bobby Graham, Phil May et Jimmy Page, You Don’t Believe Me, est sujet à polémique. Certains ont cru bon d’attribuer à Page la magnifique intro à la guitare. Dick Taylor nie farouchement et je suis porté à le croire. La participation de Page sur ce disque me paraît tout à fait contestable. Le style de Dick est inimitable. Il aime dire en plaisantant que lui-même a parfois du mal à reproduire ce qu’il a créé. Get The Picture ? est un superbe album. Pourtant, hormis chez les connaisseurs, il passe largement inaperçu et ne récolte pas le succès escompté. Début 1966, les Pretty Things tournent un court-métrage réalisé par Anthony West et Caterina Arvat, judicieusement intitulé The Pretty Things On Film. On y trouve des extraits live et une vidéo promo pour Can’t Stand The Pain, on y remarque aussi la présence de leur manager, Bryan Morrison. Etonnant personnage que ce Bryan Morrison. Il a fait ses études au Sidcup Art College avec Phil et Dick et il restera leur manager jusqu’à la fin des années soixante. Il s’est également occupé de Pink Floyd à ses débuts. La légende veut que Syd Barrett lui ait mordu le doigt jusqu’au sang parce qu’il refusait de lui verser le chèque de droits d’auteur auquel il avait droit. Victime d’un accident de polo, il restera deux ans dans le coma avant de mourir en 2008, laissant dans le deuil sa femme et… sa maîtresse, qui lui rendaient visite à l’hôpital à tour de rôle ! Mais revenons au film. Il avait été peu diffusé à l’époque. Il figurera en bonus multimédia de la réédition CD  de Get The Picture ? sur le label Snapper. Outre la sortie de ce film, l’année 1966 voit la parution, en janvier, du 45 tours Midnight To Six Man suivi, en avril, du single Come See Me / £.S.D. (Fontana TF 688). £.S.D. est le premier morceau jamais enregistré  qui traite d’un sujet alors peu connu. Lucy In The Sky With Diamonds des Beatles, simple allusion voilée, ne paraîtra qu’un an plus tard. Les Pretty Things, eux, revendiquent clairement l’usage de cet hallucinogène : « Yes, I need, yes, I want LSD », ce qui leur vaut  d’être interdits sur les ondes de la BBC. Aussi fin renard l’un que l’autre, John Lennon et Phil May trouveront moyen de se dédouaner. John affirmera, sans rire, que son fils Julian, alors âgé de quatre ans, était revenu de l’école avec un dessin qui représentait une de ses petites camarades de classe, Lucy O’ Donnell. Montrant ce dessin à son père, il lui avait expliqué : « It’s Lucy in the sky with diamonds » (C’est Lucy dans le ciel avec des diamants). Phil, encore plus fort, prétendra qu’il ne fallait voir dans le sigle £.S.D. qu’une référence à la monnaie britannique, à savoir livres, shillings et pence, le « s » n’étant pas la première lettre du mot anglais, mais celle du latin « solidus », le symbole du penny étant  « d », du latin « denarius ». Ils sont fous, ces anglais !!! En juillet de cette même année 1966, les Pretty Things reprennent la chanson des Kinks, A House In The Country, de l’album Face To Face. Brian Pendleton, victime d’une dépression nerveuse, et John Stax, en route pour l’Australie, quittent le groupe. Les trois rescapés, Dick, Phil et Alan, se retrouvent en studio. Ils sont rejoints par le bassiste Wally Allen en remplacement de John Stax et le claviériste et multi-instrumentiste John Povey (né le 20 août 1944 à Londres), tous deux issus de Bern Elliott & The Fenmen. L’album Emotions, fruit de cette collaboration, est publié en mai 1967. Suivant l’exemple des frères Davies, Phil et Dick y signent la totalité des titres et se montrent très critiques vis-à-vis de la société anglaise de l’époque. Malheureusement, les bandes originales sont confiées à Reg Tilsley, arrangeur du son chez Fontana, qui noie le tout sous un déluge de cordes et de cuivres. Les Pretty Things sont furieux : le résultat ne ressemble en aucune façon à l’album qu’ils voulaient que leurs fans entendent. Leur contrat avec Fontana arrivant à expiration, ils sautent sur l’occasion pour quitter le label, et ils vont signer chez EMI.

Un dernier coup d’œil dans le rétro avant d’appuyer sur l’accélérateur

         Nous sommes au début du flower power et le mouvement hippie gagne Londres. Les Pretty Things s’orientent alors vers un rock plus avant-gardiste et psychédélique. Ils enregistrent un premier titre, Defecting Grey, qui, à l’origine, dure huit minutes trente (il devra être réduit de moitié pour sa sortie en single). Publié dès novembre 1967, il préfigure l’album à venir. Phil le considère d’ailleurs comme « une petite maquette de S. F. Sorrow ». On ignore trop souvent que les Pretty Things ont devancé les Who et leur Tommy dans l’élaboration du premier opéra rock, abstraction faite de l’obscur album The Story Of Simon Simopath du groupe Nirvana (rien à voir avec Kurt Cobain), sorti en octobre 1967. En effet, S. F. Sorrow voit le jour en décembre 1968, Tommy ne paraîtra qu’en avril 1969 et Arthur des Kinks en octobre de la même année. Les Pretty Things enregistrent leur opéra rock aux studios d’Abbey Road, avec Norman Smith, l’ingénieur du son d’EMI, qui vient de travailler pour les Beatles (Sgt Pepper’s) et Pink Floyd (The Piper At The Gates Of Dawn, leur premier album). Ils se servent ainsi de son expérience et…des instruments laissés par les Beatles, notamment le sitar de George Harrison. Avec un budget nettement inférieur à celui des Fab Four, seulement 3000 £, il faut rogner sur tout : c’est Phil qui dessine lui-même la pochette de l’album et Dick qui prend les photos figurant à l’intérieur. Quant à l’histoire, me direz-vous, puisque c’est le principe d’un concept album ? Elle a été imaginée par Phil : chaque chanson décrit une étape dans la (triste) vie de Sebastian F. Sorrow, de sa naissance (S. F. Sorrow Is Born) à sa mort (Loneliest Person). L’album est un chef-d’œuvre absolu et recèle des moments de génie mais le succès n’est pas au rendez-vous. Comme il faut bien vivre, le groupe enregistre plusieurs morceaux sous le nom d’Electric Banana pour De Wolfe, un label spécialisé dans la production de musiques de films. On pourra ainsi entendre les Pretty Things dans des films d’horreur et des films érotiques de la fin des années soixante. On pourra même les voir en chair et en os dans le film de Menahem Golan, What’s Good For The Goose, en compagnie de Norman Wisdom. Le samedi 30 août 1969, ils participent, pour la seconde fois consécutive, au Festival de l’île de Wight et le lundi 27 octobre de la même année, ils sont à Amougies. Dick Taylor les quitte pour devenir producteur (le premier Hawkwind, notamment) tandis que Phil May fait appel à Vic Unitt d’Edgar Broughton Band pour le remplacer et publie Parachute (juin 1970). L’album est élu « disque de l’année » par le magazine américain Rolling Stone, et néanmoins, commercialement parlant, c’est un véritable flop. S’ensuit une période assez confuse pour les Pretty Things : split, reformation, arrivée de nouveaux, retour d’anciens… En 1995, à l’occasion de la réédition remastérisée de cinq albums chez Snapper, le groupe se réunit sous sa formation (presque) originelle : Taylor, May, Skip Alan, Wally Allen et John Povey. Le 6 septembre 1998, pour fêter le trentième anniversaire de S. F. Sorrow, il retourne aux studios d’Abbey Road et y réenregistre l’intégralité de l’album en une seule prise, s’offrant, cette fois, les services de David Gilmour, qui tient la guitare sur cinq titres, et d’Arthur Brown, qui raconte l’histoire du héros entre les chansons. Ce concert, retransmis en direct sur Internet, donne naissance à un nouveau CD, Resurrection. Quant à Rage Before Beauty, en gestation depuis 1980, il sort enfin en 1999, suivi de Balboa Island en 2007. Après plus de 45 ans passés sur la route, Phil May et Dick Taylor sont toujours bien vivants. Les musiciens qui les accompagnent actuellement, le guitariste Frank Holland, le bassiste George Perez et le batteur Jack Greenwood –deux jeunes prêts à assurer la relève- et (je m’en voudrais de l’oublier) leur manager Mark St John aux percussions, sont là pour entretenir la flamme, s’il en était besoin. Alors ne les ratez pas en mars prochain ! C’est un groupe culte qui vous attend et les Jolies Choses ne sont pas légion en ce monde !

                                                                                           Jumpin’ Jack D.