jeudi 18 octobre 2012


KILLING  JOKE

      Quel guitariste n’a pas, au début de son apprentissage, sué sang et eau pour tenter de reproduire, avec plus ou moins de bonheur, le riff d’intro de Come As You Are, troisième plage du disque culte de Nirvana, Nevermind (1991) ? Le rapport avec Killing Joke ? Ecoutez Eighties, le titre figurant sur leur album Night Time, sorti six ans plus tôt. Allez, je suis sûr que vous le reconnaissez, ce riff. C’est le même ! Disons que Killing Joke se l’est fait « emprunter » par Nirvana. Une action en justice sera même intentée contre le groupe grunge de Seattle mais, décence oblige, les poursuites seront abandonnées à la mort de Kurt Cobain. Comme quoi les rockers ne sont pas tous des brutes immondes. D’ailleurs, les relations entre les deux groupes n’en seront pas pour autant entamées puisque Dave Grohl  participera, comme batteur, à l’album Killing Joke de 2003. Cela dit, Killing Joke aurait eu mauvaise grâce à trop la ramener. En effet, on retrouve le même riff (Allez vérifier si vous ne me croyez pas !) sur Life Goes On, un titre des Damned tiré de leur album Strawberries (1982). Si l’on se base sur la chronologie, ce sont eux les vrais créateurs. Je vous reparlerai sans doute prochainement des Damned dans Heart Of Stone. Ils sont de retour. Au grand complet- ou presque -avec Dave Vanian et Captain Sensible. Mais en attendant, sachez que Killing Joke, lui aussi, tourne à nouveau dans sa formation d’origine. Il sera au Bataclan de Paris le 27 septembre (avec les Young Gods), à l’Ancienne Belgique de Bruxelles le 28 et à l’Aéronef de Lille le 30. Il nous présentera, à cette occasion, les titres de son nouvel album tant attendu, qui ne se nommera finalement pas Feast Of Fools (Le Banquet De Dupes) mais Absolute Dissent (Dissidence Absolue).


J’irai danser sur vos tombes

      Jeremy « Jaz »Coleman (né le 26 février 1960 à Cheltenham, station thermale du paisible comté anglais du Gloucestershire) et « Big » Paul Ferguson (né le 31 mars 1958 à High Wycombe) se sont connus, fin 1978, au sein d’un groupe punk londonien, le Matt Stagger Band. Coleman y joue du clavier et Ferguson de la batterie. Le courant passe rapidement entre les deux hommes qui décident alors de monter leur propre groupe. Ils passent une petite annonce dans le Melody Maker pour compléter le line-up. Ils recrutent ainsi le guitariste Kevin « Geordie » Walker (né le 18 décembre 1958 à Chester-le-Street dans le comté de Durham) et Martin « Youth »Glover (né le 27 décembre 1960), alors bassiste du groupe punk The Rage. Killing Joke est né (32 ans plus tard, ce sont les mêmes que vous retrouverez sur scène : Jaz, Big Paul, Geordie et Youth). Nos quatre garçons s’installent dans un squat de Notting Hill, à une époque où le marché de Portobello n’était pas encore devenu un nid à touristes. Ils enregistrent leur premier EP, Turn To Red, avec l’argent prêté par la petite amie de Jaz. Là, diront les féministes, rien n’a vraiment changé ! Coup de bol : ils attirent l’attention du célèbre animateur radio de la BBC, John Peel (dont on peut saluer la mémoire tant il a donné sa chance à de multiples groupes) et ce dernier leur propose de participer à ses inoubliables « Peel Sessions » enregistrées en condition live. Fin 1979, ils signent chez Island qui les autorise à fonder leur propre label, Malicious Damage. Tout un programme ! « Malicious damage »est une expression juridique, signifiant : dommage causé avec intention de nuire. Killing Joke annonce clairement la couleur et « commet »son premier single en février 1980. Il s’agit de Wardance, dont la pochette représente Fred Astaire en train de danser sur un champ de bataille. Le groupe a trouvé la bonne recette pour se faire connaître : son agressif, textes incendiaires, provocation délibérée. Il y gagne le privilège de jouer en première partie de Joy Division.

Le pape en train de bénir les nazis ? Mort de rire !

      Fin 1980, Killing Joke et Malicious Damage quittent Island pour passer chez E.G. Records (du nom de ses fondateurs David Enthoven et John Gaydon). A noter que E.G. signa de nombreux groupes dans les années 70-80 parmi lesquels King Crimson, Genesis ou encore Roxy Music. C’est donc sur ce label que sort Killing Joke, premier album éponyme. La pochette en noir et blanc montre une scène d’émeute. On y voit une bande de gamins dévaler un mur à toute vitesse comme s’ils étaient poursuivis par la police. C’est une chance que « Killing Joke » ait été bombé sur le mur en grosses lettres blanches parce que nulle part sur le disque ne figure le nom des membres du groupe. Leur son punk-rock des débuts fait place à quelque chose de plus dense, de plus menaçant. On n’est pas loin du heavy metal. Un titre, Change, tranche avec le reste de l’album et lorgne du côté du disco, ce qui n’a pas l’air de les déranger. Ferguson déclarera : « Nous avons des titres dans les charts aux Etats-Unis et c’est un plaisir. Ca ne m’embête pas du tout d’entrer dans les meilleures ventes disco ». Les concerts de Killing Joke n’ont pourtant rien à voir avec l’atmosphère feutrée et tamisée des clubs de nuit et discothèques. Jaz se produit sur scène, vêtu d’une combinaison noire, le visage couvert de peintures de guerre, hurlant et s’agitant comme un épileptique atteint de la danse de Saint Guy. Lui et ses comparses sont ceux par qui le scandale arrive. Plus un seul directeur d’hôtel n’ose les accueillir, craignant que ses chambres ne soient dévastées. Une association de Catholiques romains de Glasgow réussira même à faire interdire un de leurs concerts en raison d’une affiche sur laquelle on verrait le pape Pie XI- en fait l’abbé catholique allemand Albanus Schachleiter au congrès de Nuremberg de 1934 -bénissant une haie d’honneur de Chemises Brunes Nazies. Par provocation, Killing Joke reprendra cette même photo sur la pochette de la compilation Laugh ? I Nearly Bought One ! sortie en 1992. Même si les croix gammées ont disparu des brassards au profit ( ?) des symboles du dollar américain et de la livre sterling, la blague n’a pas du tout plu ! Vous vous demandiez pourquoi Killing Joke, La Blague Qui Tue, avait choisi de s’appeler ainsi ? Vous avez la réponse !

Manquait plus que la fin du monde !

      Fin 1981, sort le deuxième album What’s THIS For… !, dans la même veine que le précédent, en un peu plus corrosif. Sur la pochette, une femme, de dos, en short et sandales (une vacancière ?), contemple un champignon atomique. Elle est observée à son insu par le petit personnage fétiche de Killing Joke, une sorte de joker chauve au regard malsain et envoûtant. C’est lui, à n’en point douter, qui, sur le troisième titre, Unspeakable, fait dire à cette femme : « I wonder who chose the color scheme. It’s very nice ! » (Je me demande qui a choisi les couleurs. C’est très joli !). On est, comme dans le cas du pape bénissant les nazis, face à une situation paradoxale et ironique. Vous avez, à ce stade, compris ce que signifiait exactement le terme « killing joke ». Bienvenue au club ! Peu avant la sortie de Revelations, Jaz Coleman connaît une période très difficile. Son incapacité à résoudre ses problèmes personnels et relationnels l’a conduit au bord de la dépression nerveuse. Il se tourne alors vers le mysticisme et les sciences occultes. Pour son malheur. Sa lecture des écrits d’Aleister Crowley, le mage noir sataniste anglais (son visage apparaît sur la pochette de l’album Sergeant Pepper’s Lonely Hearts Club Band, c’est le second à partir de la gauche au dernier rang) le fait plonger. Il craque. Le jeudi 26 février 1982, jour de son anniversaire (il a 22 ans), il disparaît sans crier gare après un concert à l’Hammersmith Palais et s’enfuit en Islande, persuadé que la fin du monde est proche. Comme il faut bien s’occuper en attendant, il collabore avec quelques formations locales telles que Theyr, qui prendra plus tard le nom de Sugarcubes et au sein de laquelle officiera une certaine Björk. Mais, se rendant à l’évidence que- c’est officiel -l’apocalypse est reportée à une date ultérieure, il rentre en Angleterre pour enregistrer Fire Dances avec un nouveau bassiste, Paul Raven.

Paul Raven est mort ? Chouette alors !

      Fire Dances sort en 1983, suivi deux ans plus tard de Night Time (l’album inclut le titre Love Like Blood qui devient un standard des boîtes new wave des deux côtés de l’Atlantique). Après cette courte période de succès commercial, c’est une série de « je t’aime, je ne t’aime plus ». Le groupe se sépare une première fois après la parution de Outside The Gate en 1988 mais reprend la direction des studios en 1990 pour l’album Extremities, Dirt And Various Repressed Emotions avec Martin Atkins, un ancien de PIL (le groupe formé en 1978 par Johnny « Rotten » Lydon, à la dissolution des Sex Pistols), à la batterie, en remplacement de Ferguson. Nouvelle période de divorce avant de se reformer quatre ans plus tard et d’enregistrer Pandemonium auquel fera suite Democracy, publié le 1er avril ( !) 1996. Il faudra attendre respectivement 2003 et 2006 pour que sortent Killing Joke II et HosannasFrom The Basements Of Hell. Depuis, plus rien…jusqu’à ce que Paul Raven meure d’une crise cardiaque à Genève le 20 octobre 2007, à l’âge de 46 ans. Les membres originaux de Killing Joke se retrouvent à l’occasion de ses funérailles et, ayant définitivement perdu le sentiment d’immortalité lié à la jeunesse, ils décident de jouer à nouveau ensemble et de produire un treizième album studio, Absolute Dissent. Chouette ! Un nouvel album et une nouvelle tournée ! Moi aussi, je sais faire des « killing jokes ».

                                                                                                   Jumpin’ Jack D.