mercredi 18 juillet 2012

A N G E


         Vendredi 10 mai 1974. Faches-Thumesnil. 21h, la Rotonde (baptisée depuis salle Jacques Brel) s’ouvre à l’évangélisation de la population nordiste. 21h, c’est du moins ce qui est indiqué sur l’affiche car les concerts, à l’époque, ne commençaient jamais à l’heure. Il fallait bien, il est vrai, laisser le temps à tous ces mécréants de saluer leurs congénères rencontrés, quelques semaines auparavant, au concert de Deep Purple à Courtrai ou à celui d’Higelin à la MJC Marx Dormoy, puis d’échanger leurs impressions avant que de s’asseoir ou se vautrer à même le sol. Il fallait aussi attendre que, pressentant le début des festivités, ils se décident à filer vers le bar et reviennent à leur place en zigzaguant à travers le public, une bière dans une main, une cigarette dans l’autre. Le lieu était alors enfumé à souhait, le spectacle pouvait commencer ! Et Ange d’égrener les perles d’ Au-Delà Du Délire. Et nous de sourire « aux anges ».


Un Ange passe à Reading

         Le groupe, dont les initiales signifient Analyse Naturelle des Grands Esprits, se constitue en 69 à Belfort autour de Christian Décamps et son frère cadet, Francis. Christian et Francis (chant et claviers) sont accompagnés par Gérard Jelsch (batterie), Jean-Michel Brezovar (guitare solo), Patrick Kachanian (basse). Ils remportent un premier succès avec La Fantastique Epopée Du Général Machin, une satire anti-militariste en 19 tableaux  qui dure trois heures ! Le concert est gratuit et les spectateurs donnent ce qu’ils veulent à la sortie. Puis (entre-temps Patrick Kachanian a été remplacé par Daniel Haas) ils remportent, le 2 juillet 71, le tremplin du Golf Drouot, le mythique « Temple du Rock » d’Henri Leproux. C’est là qu’ils se font remarquer par Johnny Hallyday qui les engage comme première partie de sa tournée d’été en 72. Ils en profitent pour faire la promotion de leur premier album Caricatures. Théâtralisation, lyrisme moyenâgeux, emprunts à de vieux contes et légendes populaires, ésotérisme et mysticisme : Ange a trouvé son image de marque. Et le public répond présent. Musicalement, le groupe est fortement inspiré par les groupes progressifs anglais King Crimson et Genesis. D’ailleurs, c’est juste avant Genesis (à 13h) qu’il se produit au Festival de Reading, durant l’été 73, devant une foule énorme qui lui fait une ovation, contredisant complètement le fameux proverbe : « Chut !...un Ange passe ! ». Cette même année, il enregistre Le Cimetière Des Arlequins, où figure la reprise historique de Ces Gens-Là de Jacques Brel. Ce deuxième album lui permet de réaliser les meilleures ventes de sa carrière : disque d’or et plus de 500 000 exemplaires vendus. En janvier 74, Ange donne son premier grand concert parisien à la Mutualité devant plus de 2000 spectateurs, ça fait bien longtemps qu’un groupe français n’a pas réalisé un tel exploit. Le troisième album Au-Delà Du Délire sort dans la foulée et sera aussi disque d’or. Fin 74, Guénolé Biger remplace Gérard Jelsch et l’enregistrement d’Emile Jacotey commence, inspiré par une vision mystérieuse et romantique des paysans de Haute-Saône. En 76, Par Les Fils De Mandrin obtient le Grand Prix de l’Académie Charles Cros. S’ensuit une extraordinaire tournée promo qui démarre au Palais des Sports de Lyon le 12 mai 77 (10 000 personnes – plus que pour les Who- et 5 rappels) et qui s’achève Porte de Versailles à Paris les 25 et 26 mai. Les deux derniers concerts seront enregistrés pour donner naissance au double album live Tome VI. Personnellement j’avais eu le privilège de voir Ange dès le vendredi 14 janvier 1977 aux Halles de Courtrai. Je m’en souviens comme si c’était hier : Ange était arrivé en retard, ayant rencontré des problèmes à la frontière et, à la sortie, il faisait un brouillard à couper au couteau. Je revois encore la conductrice qui me précédait quitter la route et s’égarer sur un parking. J’espère qu’elle en a trouvé la sortie depuis ! A la fin de l’année 77, le groupe , épuisé, décide provisoirement de cesser ses activités.

Une patience d’ange

         Il faudra une patience d’ange pour attendre son retour en 80 et fêter ses 10 années d’existence en 81. Depuis, Ange enregistre album sur album. Mais cette période, les moins de trente ans ont plus de chances de la connaître. Alors, citons au hasard : A Propos De … (82) qui rend hommage à Polnareff, Brel (reprise de A Jeun), Brassens, Nougaro, Aznavour et Dutronc ; Les Larmes Du Dalaï Lama (92) ; Memo (94), une compilation qui comporte 5 titres inédits enregistrés en 72. Une tournée d’  « à Dieu » et non pas d’ « adieu » en 95 : « Ange n’arrête pas sa carrière, la première génération tire sa révérence pour laisser place à la seconde, rendez-vous à tout de suite…un ange est immortel… » (Christian Décamps) et la sortie de l’album Un P’tit Tour Et Puis S’en Vont enregistré en public au théâtre Sébastopol de Lille le mercredi 7 mai (j’y étais, bien sûr !). Mais les voilà qui reviennent : le père Christian Décamps, le fils Tristan et les nouveaux angelots : Caroline Crozat (chant), Hassan Hajdi (guitare), Thierry Sidhoum (basse) et Benoît Cazzulini (batterie). Et le 19 novembre prochain, « on ira tous au Paradis ! ».



                                                                             Jumpin’ Jack Devemy